Pascal Bouchez

Biographie

Docteur en philosophie, professeur de l'enseignement secondaire et supérieur,
Président du Comité d'Ethique Recherche de l'Université Savoie-Mont-Blanc, ses
recherches portent sur les conditions d'élaboration d'une morale sur-
humaniste fondée sur une ontologie d'influence heideggerienne.

Philosophie
Depuis 1993, date de ses premiers travaux universitaires, il mène une réflexion
sur la relation entre l'homme et la nature, qui l'a, en 1998, conduit à soutenir une
thèse de doctorat consacrée à une identification historique et philosophique des
motivations occultes de la technique.
Dans la continuité de Martin Heidegger, qu’il considère comme son influence
philosophique majeure, il y décrit l'avènement de celui qu’il appelle
le Technanthrope [1] . Stade ultime d'un processus d'évolution interactif, en vertu
duquel homo sapiens et homo faber coexistent et s'interpellent, celui-ci se
présente comme le produit d'un principe de transcendance, qui l'incite à quitter
l'état de nature jusqu'à atteindre le point de rupture imposé par
la ratiocratie issue de la révolution copernicienne et du principe de raison
suffisante.
Maître d'œuvre de l'arraisonnement [2] , identifié par Heidegger comme symptôme
de la technique moderne, le Technanthrope incarne l'expression ultime de l'oubli

ontologique responsable de la banalisation, de la réification et de l'exploitation de
la nature et du vivant.
Afin de sortir de cette impasse, et de négocier le "tournant" annoncé par
Heidegger, il préconise l'élaboration d'une morale fondée sur la réhabilitation et
la promotion de la question ontologique : "Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt
que rien?"
Appelée dé-onto-logie, déclinable en physioéthique et zooéthique, cette morale se
présente comme la condition nécessaire d'un changement de paradigme et d'une
écologie affranchie de toute approche gestionnaire de la nature. La question
ontologique y sert d'élément déclencheur pour une prise de conscience du
mystère et de l'improbabilité de l'existence, dont découlent l'irréductible valeur
de chaque être, puis l'injonction morale adressée à celui qui peut sciemment y
attenter.
En raison de la dimension morale de sa conscience, capable d'apprécier l'impact
de ses actes sur l'intégrité de ce qui lui est extérieur ainsi que sur la volonté et la
liberté d'existence de tout être vivant ; en raison de l'étendue du pouvoir de
nuisance lié à son hégémonie conquérante, le Technanthrope est sommé par un
impératif transcendant d'inscrire sa préoccupation morale dans la mission de
"berger de l'Etre" qu'Heidegger attribue au Da-sein.
C’est dans cette perspective post-heidegerienne, d'après laquelle la mission
pastorale du Da-sein n’est pas dissociable d’une approche éthique de la réalité
naturelle, que la dé-onto-logie proposée dans "Origines, ambitions et égarements
méta-physiques de la Technique" évolue naturellement en zooéthique dans
"Philosophes et autres animaux. Anthologie pour une zooéthique", "L’Etre,
l’Homme et l’Animal". 
Parallèlement à la promotion d'une tradition philosophique, en marge d'un
anthropocentrisme rationaliste et humaniste, il y propose "une éthique pour les
animaux", qui repose sur un contrat domestique, en vertu duquel l'homme a à
assumer la responsabilité les conséquences du fait d'être devenu "maître et
possesseur de la nature".

Concepts majeurs

Technanthrope : Littéralement l'homme de la technique. Il est le
résultat d'une hybridation entre Sapiens et Faber. Il a pour moteur les
principes de transcendance et de raison suffisante, qui l'incitent à
transgresser les limites naturelles inhérentes à l'espèce humaine et
imposées par la nature, dont il est issu, par la production d'artefacts. Il
incarne l'oubli absolu de l'Etre, l'ignorance ou le mépris de la question
ontologique qui permet de réhabiliter le mystère et le respect de
l'existence. Il précède l'avènement du Da-sein, en tant que berger de
l'Etre.
Principe de transcendance : version exclusivement humaine du
vouloir-vivre, de la volonté de puissance ou de l'élan vital, il est
caractérisé par le ressentiment à l'égard d'une nature accusée d'avoir
plongé l'être humain dans la frustration d';une disproportion entre,
d'une part, les besoins et les envies, de l'autre, les moyens naturels d'y
répondre. Le principe de raison suffisante, en tant que substance de la
Ratiocratie, en est l'affluent principal.
Ratiocratie : Littéralement "pouvoir ou règne de la Raison". Elle
désigne l'autorité absolue de la raison, humaine et rationnelle (logos),
sur la nature, via la mondialisation de la culture techno-scientifique et
de l'arraisonnement qui la caractérise. Elle est la conséquence de la
stricte observation du principe de raison suffisante.
Dé-onto-logie : Morale alternative, qui commence avec la question
ontologique fondamentale "Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que
rien?" puis se prolonge dans la reconnaissance de l'unité ontique de la
nature en tant qu'impératif inconditionnel. Le mot est fractionné pour
se démarquer de la forme et du fond habituellement réservés au terme
"déontologie". La dé-onto-logie renvoyant, au sens premier du terme, à
la "science qui traite des devoirs à remplir", mais en fonction d'une
préoccupation et d'un respect de l'autre en tant qu'expression de l'Etre.
Elle invite ainsi à s'interroger et à agir en vue de se conformer à la
volonté originelle de tout être, qui est d'être et de continuer à
être. Etymologie : deon-ontos-logos. Deon (δεον : "ce qui doit" "ce qu'il
faut"), ontos (οντoς : "Etre"), logos (λoγos : &";langage"). Soit "ce qui doit être
fait pour parler conformément à l'Etre", "ce qui doit être fait pour dire (et
respecter) la parole de l'Etre". La dé-onto-logie se veut la morale de
l'homme qui cesse d'être Technanthrope pour devenir pleinement da-
sein. Elle est l'expression d'un sur-humanisme.
Sur-humanisme : comportement qui consiste à dépasser
l'anthropocentrisme de l'humanisme. Non pour dévaloriser l'homme
mais pour décentrer sa préoccupation morale et faire de chaque être,
vivant et sentant, un sujet digne d'une même préoccupation morale . Le
sur-humanisme est antispéciste et présuppose une zooéthique et une
physioéthique.
Physioéthique : Alternative à l'écologie gestionnaire, prisonnière du
principe de raison suffisante et de l'anthropocentrisme, elle englobe la
zooéthique qui en est une partie.
Zooéthique : le terme est préféré à l'expression "morale animale",
jugée inappropriée dès lors qu'elle exprime la nécessité d'une morale

appliquée aux animaux, et suggère également, de manière trop globale
et de ce fait inexacte, que les animaux ont une morale. Transitoire, la
zooéthique a vocation à disparaître dès lors que l'humain assumera son
animalité et admettra que les autres animaux pensent, éprouvent la
douleur et le plaisir, aspirent à se maintenir librement dans leur être.
Elle précède et accompagne l'émergence d'une morale globale (la dé-
onto-logie) dans laquelle les autres êtres, plus particulièrement les
animaux sensibles et pensants, sont des sujets auxquels l'homme se
trouve lié par un contrat unilatéral de responsabilité, appelé contrat
domestique.
Contrat domestique : A la différence du Contrat Social qui opère
selon un principe de réciprocité, le Contrat Domestique, qui fait écho au
Contrat Naturel de Michel Serres, repose sur un principe de
responsabilité unilatérale de l'humain envers la nature et l'ensemble des
êtres, qui peuvent être ou sont impliqués, à leur insu, dans l'exercice de
son activité technique et ratiocratique. Avant même de prendre la forme
d'un droit positif destiné à en garantir une stricte application, le
contrat domestique, qui, de toute évidence, ne peut être conventionnel,
se veut un contrat moral, fondé sur la reconnaissance des lois
universelles du droit naturel. Il consiste ainsi à tenir compte de l'unité
ontique qui rassemble tous les êtres vivants et leur confère un droit
universel à exister en tant que sujet, à jouir de leur liberté dans la limite
des contraintes raisonnablement imposées par la liberté d'autrui, à ne
pas souffrir, à pouvoir disposer des conditions requises pour se
maintenir dans leur être. En raison de la nature conquérante et
hégémonique, qui lui est spécifique et lui a permis de satisfaire ses
ambitions de maîtrise et possession de la nature. En raison, également,
de la conscience morale qui caractérise son esprit, dont il revendique la
complexité et la supériorité logique, seul l'être humain est obligé par ce
contrat domestique, envisagé comme manière factuelle d'assumer la
mission pastorale attibuée au Da-sein. Il a ainsi le devoir impérieux de
veiller sur ce qu'il menace et de confirmer la référence d'Heidegger
à Hölderlin : "Là où est le péril, croît également ce qui sauve"

Contributions de Pascal Bouchez