Jean T.

https://lecturesdereves.wordpress.com/

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20,00
Conseillé par (Le Pain des Rêves)
14 février 2024

La narratrice, une romancière, décide d'apprendre à "coder coder coder" dans le langage Python, parce que c'est le code de Google et qu'il est réputé abordable. Aussi parce que le jeune Boris qui continue de coder à la table familiale l'a fasciné.

Elle se fait aider par des jeunes femmes, Chloé, Margaux et Marion, puis par des jeunes hommes, Boris, Enzo, car le monde des geeks est plutôt un monde de jeunes hommes à capuche. Elle, qui est plutôt du monde d'avant Google, leur demande, à ces jeunes, de lui apprendre à coder en Python alors qu'elle n'a aucune chance d'en maîtriser l'écriture.
Car si on apprend quelques lignes de code dans ce roman, on apprend surtout comment "des jeunes hommes à capuche" très concentrés devant leurs écrans écrivent du code avec rigueur, sans aucune erreur alors qu'ils écrivent très mal le français. On découvre sous quelles couches d'écriture se cache le code qui rend Google lisible par tous, comment il est stocké dans le monde concret de "4800 datacenters inégalement répartis sur la planète, comment il est transporté par des câbles sous-marins". Et que "le nuage (…) est une pure fiction".
Souvent, Nathalie Azoulai qui a déjà écrit "La fille parfaite", un roman dans lequel s'affrontent deux amies, l'une littéraire et l'autre scientifique, fait des liens entre le code et la littérature, les auteurs, les films et les acteurs. À cause de ce code structuré et logique, elle fabrique un tableau sur lequel, de façon très ordonnée, elle aimante photos et données sur les personnes qu'elle rencontre. Comme quoi "coder coder coder" modifie la perception et façonne la manière de penser des humains. Elle revisite même sa vie, ses choix, son désir de connaître "le monde des garçons".
Aujourd'hui, on construit des mondes en écrivant des livres ou en alignant des lignes de code. Ces garçons écrivent pour faire apparaître leur monde, comme le font ceux qui écrivent des livres. S'intéresser à eux et à leur culture n'est pas absurde, même quand on est du "vieux monde".
Le roman est agréable à lire, avec son côté décalé, inversé, avec cette femme plus si jeune qui va voir des jeunes pour apprendre un savoir qu'elle ne maîtrisera ni n'utilisera jamais. Souvent, on sourit devant ce tableau étonnant. Pourtant, à l'heure de ChatGPT, il n'est pas ridicule de s'intéresser au monde du code et des codeurs.

Éditions Gallmeister

26,80
Conseillé par (Le Pain des Rêves)
14 février 2024

Le roman se déroule dans un Montana emprisonné dans la neige. Hickney fait un travail d’équarrisseur. Il sillonne les routes pour ramasser les animaux morts. Hickney est un homme bon, qui a des souvenirs religieux, qui traîne la culpabilité d'être pour quelque chose dans le drame qui a frappé Jimmy lequel, un soir de beuverie, a eu les jambes coupées par un train. Depuis Hickney en a le souci et le protège. Il protège aussi Anna, la sœur de Jimmy et ses deux filles, abandonnées par un père qui a mal tourné et a dû se réfugier auprès de sa tribu.

Un jour, un homme approche Hickney pour lui propose de le payer quand il lui fournira les cadavres des animaux gelés qu'il ramasse. L'homme est sympathique, plus que ses compagnons qui se sont installés dans un ranch abandonné. Mais déjà, des troubles perturbent la vie du village. Quand Hickney ramasse dans la neige le cadavre d'un homme mort, qui vient du ranch, il comprend qui sont ces gens….
Le roman entremêle plusieurs histoires qui se déroulent lentement. Les drames humains laissent la place à la description des paysages très enneigés, des nuits étoilées, des nuages auxquels Jimmy donne des noms. Comme si la nature, rude dans le Montana, façonnait la vie des gens. Ces histoires humaines font apparaître les lâchetés des uns, des haines, des peurs, du racisme, le courage et la bonté des autres. Les hommes de la secte ne rêvent que de puissance, sont ouvertement racistes et violents, n'hésitent pas à tuer.
Hickney croit au bien, à l'amitié fidèle, à la bonté, à la solidarité. Il donne de lui-même à Jimmy e à ses amis. Il refuse la drogue, l'injustice et le racisme. Parviendra-t-il à sauver Jimmy, Anna, la femme qu'il aime et ses filles ?
Dans ce roman très noir, certains sont très loin de Dieu et d'autres en sont très proches, même s'ils ne le prient pas, comme Hickney qui "savait que ses paroles s’étaient élevées vers les poutres de la charpente en même temps que la fumée des bougies, mais n’étaient pas allées plus loin, qu’elles étaient aussi inutiles et inopérantes que le gazouillis des oiseaux ou les aboiements des chiens dans leurs niches" et qui se demande si "si ce Dieu était sourd et aveugle, à quoi pouvait-Il bien servir pour qui que ce fût ?"
Kim Zupan nous offre un grand roman, noir, lyrique, qui magnifie l'amitié et la bonté dans une nature blanche de neige.

13,00
Conseillé par (Le Pain des Rêves)
18 janvier 2024

Sergueïtch et Pachka sont deux retraités vivant en 2014 dans un village abandonné de la "zone grise", coincé entre l’armée ukrainienne et les forces séparatistes soutenues par la Russie. Seuls habitants du village, ils sont obligés de se fréquenter alors que leurs points de vue sur le conflit sont très opposés. Dans ce village sans électricité, tous deux survivent pendant un hiver rigoureux, exposés à des canonnades, des tirs de snipers, des explosions. Qu'ils tissent des liens, s'entraident, boivent ensemble de l'alcool, est le signe d'une possible réconciliation.

Sergueïtch est apiculteur et le soin de ses abeilles est sa raison de vivre. Il pratique une sorte de médecine et faisant des siestes sur un matelas installé sur ses ruches. L'été venu, il charge ses six ruches sur la remorque de sa vieille Tchetviorka et part vers la Crimée contrôlée par les russes. Ses abeilles ont besoin de douceur, de soleil et de fleurs. Lui a besoin de calme, de communion avec la nature. Il vit sous la tente plantée dans un champ, rencontre des femmes de paix dans le proche village, noue quelques relations simples et pacifiées avec des petites gens, des Tatars. Mais son bonheur n'est qu'une trêve, toujours les événements le rattrapent dans son pays en guerre ou dans la Crimée sur laquelle veille l’œil de Moscou.
Sergueïtch est un homme simple et bon, qui ne peut vivre que chez lui et avec ses abeilles. Il ne conçoit pas que la guerre puisse durer et attend la paix. Il a le souci des autres et est toujours prêt à aider, à partager le peu qu'il a. Avec ce personnage, Andreï Kourkov construit un conte qui nous enchante et nous émeut, qui nous surprend et nous attriste. Se mettant au niveau de cet homme simple, il met en scène toute l'horreur de la guerre. Usant de la fable animalière, il montre que les abeilles sont sages, plus sages que les hommes, que "non, les humains ne valent pas les abeilles".
Un très beau roman parfois cocasse, triste, plus profond et plus engagé qu'il n'y paraît.

Éditions Gallmeister

24,50
Conseillé par (Le Pain des Rêves)
14 janvier 2024

Pas en pleine forme et en convalescence, le shérif Walt Longmire est de retour dans le centre du Wioming, au pied des Bighorns Mountains. Son adjointe, Vic, est bien plus dynamique, coriace et possiblement violente. Il fréquente un vieil indien, Virgil White Buffalo, qui philosophe sur les loups et même sur les loups-garous. Car ce serait un loup qui aurait commencé à grignoter les pieds du cadavre d'un berger, chilien et poète, découvert pendu à un arbre, pas loin d'un mouton mort appartenant à  Abarrane Extepares

Walt pense à un crime plutôt qu'à un suicide, surtout que la famille basque Extepares n'est pas à une violence près. En même temps, il faut retrouver un jeune garçon qui a disparu, sans doute enlevé par Keasik Cheechoo, la femme qui milite pour la préservation des loups. L'enquête est tortueuse. Walt se demande s'il n'y a pas des cas de lycanthropie (personne se transformant en loup). Il découvre que le loup 777M est un pur irremotus. Or, ces loups ont disparu, tués par les loups occidentalis qui sont plus gros, ce qui fait de 777M un spécimen rare, peut-être unique… À un moment Walt en arrive à une conclusion guidée par le bon sens : ce n'est pas le loup qui a noué la corde du pendu. Mais le légiste n'en est pas encore certain, "Probablement pas, mais ne tirons pas de conclusions hâtives"...
Il n'y a pas vraiment de suspense dans ce roman, mais des considérations sur l'origine de la Lune, les loups-garous, la violence intra-familiale... Walt Longmire a été éprouvé dans une précédente aventure. Il apparaît ici comme un vieil homme diminué, qui ne sait plus trop où il en est. Craig Jonhson nous fait voir son état dans le comportement que ses proches ont à son égard. Le roman est bavard, brouillon, lui aussi un peu désorienté.

Conseillé par (Le Pain des Rêves)
21 décembre 2023

Autour de l'ours, Clara Arnaud entrelace trois récits sur la représentation de la nature, la vie pastorale, la cohabitation des animaux domestiques et sauvages et de l'homme.

Passons sur l'histoire de Jules, le montreur d'ours qui, a la fin du 19e siècle va voler un ourson dans une tanière (suspense haletant garanti), le dresse et part faire fortune aux États-Unis. Cela pouvait se faire à l'époque.
Puis elle nous ramène à notre époque, dans une vallée du Couserans, en Ariège où, attirés par la montagne, sont installés Gaspard et sa famille. Il mène la difficile vie de berger et monte en estive pour 90 jours, après avoir vécu un drame l'année précédente. Il garde un troupeau de 500 brebis appartenant à plusieurs éleveurs. Il est seul dans la montagne, avec son troupeau, sa chienne et son patou. Il est dans la nature sauvage, gardien de son troupeau et attentif à déjouer les ruses d'une ourse qui égorge ses bêtes, ourse qu'il respecte tellement il est attaché ne pas dénaturer la montagne.
Alma est une jeune éthologue cherchant à convaincre les villageois de cohabiter avec l'ours qui avait disparu et a été réintroduit dans la montagne. Celle qu'on appelle "la salope aux ours" doit récolter des informations sur l'ours, ses habitudes vie, son rapport avec les troupeaux. Elle passe beaucoup de temps dans la montagne, à étudier cette ourse, Negra, qui a été réintroduite dans le Couserans, pour fournir à l'organisme qui l'emploie des données qui permettront de justifier sa présence, alors même qu'une partie de la population locale est bien décidée à ce que cette ourse disparaisse.
Clara Arnaud habite dans le Couserans. Elle aime et connaît la montagne. Elle fréquente des locaux, des bergers, elle s'est documentée sur la place de l'ours dans l'écosystème, sur la vie en estive, à Esbintz, entre autres. Dans son roman, on apprend autre chose que dans les faits divers qui parlent surtout des méfaits de l'ours. On voit que ce monde est complexe, plein de nuances, et que si on prendre parti pour les pro-ours ou pour les anti-ours n'est pas possible. On apprend beaucoup dans son livre, surtout si on ne fréquente pas la montagne. Car on marche beaucoup, on court après les brebis, on marche des heures avec Alma pour trouver un lieu où bivouaquer, on écoute Jean, le vieux berger, on s'arrête pour voir les bouquetins gambader dans les éboulis, on lève les yeux vers les sommets, on détaille les crêtes, on regarde les étoiles la nuit, on apprend qu'il faut soigner les pieds des brebis, prendre soin de ses chiens, écouter les bruits, les animaux, les oiseaux, être sur le qui-vive, tout le temps… Ce livre nous plonge dans le tragique de la montagne, dans les conceptions opposées de la vie pastorale, de la nature, du respect de la présence des animaux domestiques et sauvages. On voit à quoi se heurte la volonté de maintenir tout ceci, en acceptant que la montagne est aussi brutale et cruelle, qu'elle ne se soumet pas, qu'elle donne et qu'elle prend, selon son rythme biologique.
Ce livre est d'une infinie beauté, d'une poésie splendide, un regard sensuel sur la nature, une célébration de la vie dans la montagne sans cacher qu'au doux vent d'autan peut succéder des vents glacés. Clara Arnaud ne se contente pas de nous immerger dans la nature sauvage de la montagne, mais aussi dans la violence des hommes.
Si le roman est proche du Nature writing américain, les aspects sociétaux et politiques qu'il aborde le rendent plus beau, plus humain, plus somptueux, plus nécessaire