Monica

Yves Trémorin

Lamaindonne

  • Conseillé par (Librairie La Grande Ourse)
    20 janvier 2021

    PUDIQUE

    C’est beau une planche contact. Cela raconte une histoire, cela raconte un moment privilégié d’où l’on extrait un soixantième de seconde pour se rappeler, se souvenir d’une minute, d’une heure, d’une journée, d’une année. Ainsi s’ouvre « Monica » en pages intérieures. Ces bandes Kodak montrent un profil qui se modifie de seconde en seconde, un bras qui bouge peu à peu sur une poitrine qui se dénude. Le photographe est là derrière l’objectif, il regarde silencieux ou demande une pose. On sent alors de suite la complicité qui réunit les deux acteurs, complicité trop voyante pour ne pas être amoureuse. « Monica » est un livre d’amour, un amour qui respire à chaque page, un livre de souvenirs qui reprend partiellement par chapitres des séries photographiques inédites ou déjà parues, entre 1977 et 1992, aux noms évocateurs: La Chambre Close, Les Amants Magnifiques ou encore Dimanche.

    Cela fait plus de quarante ans que Monique et Yves Trémorin s’aiment et se regardent de chaque côté de l’objectif. Pourtant Monique ferme souvent les yeux sur les tirages, non pas de jouissance ou de plaisir mais plutôt comme enfouie dans un bien être ensoleillé, quand la lumière du jour qui chauffe la peau, en montre la finesse, le grain, la sensualité.

    Les photos de Trémorin travaillées, abandonnées par une technique maîtrisée mais vite oubliée, sont avant tout un dialogue, une respiration commune. L’opposé de Jean Loup Sieff. Monica ne pose pas, elle est. Elle est quand elle fixe l’objectif sérieuse ou rieuse. Elle est quand son corps se blottit dans les bras de son amant ou qu’elle confie son visage entre ses mains. Elle est par une présence solaire qui l’éloigne du statut de mannequin. Pas de mise en scène sophistiquée, même si il s’agit toujours de séances de pose soigneusement préparées. La prise de vue, avec un objectif proche de la vision humaine, est minutieuse, presque chirurgicale, tant par l’utilisation de la lumière que dans le cadrage millimétré. La texture d’un chemisier, la lumière naturelle sur une mèche de cheveux, une herbe floue sur la grève suffisent comme cadre.
    Cette matière saisie par le grain de la pellicule se retrouve dans l’ouvrage chapitré en cahiers qui font se succéder des prises de vue préparatoires, et des séries constituées, elles mêmes différenciées par des papiers, des tirages magnifiques qui vont du contraste fort et brillant au dégradé mat et doux. Cette alternance qui rythme les cycles, les âges raconte ainsi une histoire dont on comble nous même les interstices. On scrute la jeunesse, la maturité non pas dans une ride mais dans le regard, le sourire. On regarde croître la maturité d’une relation. Spectateur admiratif mais jamais voyeur, on est associé par l’image à cette maturation avec une proximité qu’accroît le format réduit du livre qui ressemble un peu à un album de famille posé sur la table du salon ou dans l’armoire, que l’on reprend par nostalgie de temps à autre.

    Sur la première photo du livre, Monique a dix sept ans. Elle regarde l’objectif comme si elle cherchait à donner au photographe ce qu’elle a de plus profond. Sur la dernière photo, on ne découvre qu’une fraction infime de son visage posant ses lèvres sur un morceau de peau. Comme le passage du général à l’intime. Comme la persistance d’un formidable amour.