Jean T.

https://lecturesdereves.wordpress.com/

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Conseillé par (Le Pain des Rêves)
30 septembre 2017

"La servante écarlate" est le journal rédigé par Defred, dans lequel elle raconte sa vie -ou plutôt : son emprisonnement- dans la république de Gilead, aux États-Unis. Dans cette société fermée la population est répartie en castes : les Commandants, leurs Épouses, les Marthas, les Yeux, les Tantes et les Servantes dont fait partie Defred. Elle est au service d'un Commandant et de son Épouse inféconde. Sa raison d'exister est de devenir enceinte pour donner un enfant à l'Épouse. Éventuellement, si le Commandant se révélait stérile, l'Épouse pourrait s'arranger pour trouver un autre homme pour la féconder. Si la Servante est stérile, elle sera être envoyée aux Colonies, traiter les déchets dans des conditions telles qu'elle sera vouée à une mort rapide.
Dans cette société théocratique, les libertés individuelles sont inexistantes, la diversité est réprimée, l'homosexualité interdite, l'amour a disparu : "Qu'avons-nous oublié ? J'ai répondu : l'amour (...) Tomber amoureux".
Ce qui est considéré comme un délit est couramment puni de mort. La population est convoquée au spectacle du châtiment et les corps, accrochés au Mur, sont exposés à la vue de tous.
Lorsqu'elles sortent, toujours par deux, pour faire les courses, les Servantes portent une tenue rouge et un bonnet blanc qui rétrécit leur champ de vue. Elles sont réduites au silence, à tel point qu'elles ont appris à lire sur les lèvres. Elles n'ont rien à elles. L'équipement de leur chambre est réduit au minimum, "Une chaise, une table, une lampe", pas de lustre au plafond, des fois qu'il leur viendrait l'idée de se pendre et les vitres sont incassables.
Il y a peu de personnages dans ce roman : Nick, le chauffeur du couple, qui a attiré l'attention de Defred et qui pourrait peut-être l'aider, pense-t-elle, malgré les risques ; Janine, une Servante rebelle que Defred admire ; le "docteur" qui examine les servantes pour savoir si elle sont enceintes et qui propose ses services à Defred qui ne l'est pas encore ; les Tantes, des femmes célibataires qui endoctrinent les Servantes, les humilient en réduisant leurs libertés, les châtient ; Deglen, une autre Servante avec qui Defred va aux courses. Elles sont les seules à avoir un pouvoir dans cette société dominée par quelques hommes.

Defred a été mariée à Luke avec qui elle a eu une fille. Elle ignore s'ils sont encore vivants et où ils pourraient se trouver. Au début du roman, il ne se passe pas grand-chose, le temps que s'installe la sensation d'être dans une société entièrement contrôlée et calme. Peu à peu, Defred se remémore l'avant, pour ne pas devenir folle, pour rester lucide. Elle réfléchit, observe, mène des réflexions sur la vie sociale et politique, accroissant encore l'horreur ressentie par le lecteur. Plus avant dans le roman, lorsqu'elle enfreint des interdits, on découvre que cette société qui se veut pure est très pervertie, que ceux qui ont le pouvoir dissimulent des agissements de façon à s'offrir un peu de bon temps. On découvre aussi que la répression de la sexualité, aussi forte soit-elle, n'empêche pas l'existence d'une liaison amoureuse. Et qu'il existe une résistance clandestine, organisée, qui peut se montrer efficace.

Le roman achevé, Margaret Atwood a ajouté quelques pages relatant une communication universitaire sur ce monde de Gilead. Ce texte serait une transcription de cassettes retrouvée au fond d'un malle. Le discours est en même temps drôle et terrifiant. On peut comprendre que Defred s'est échappée de cet enfer, sans doute avec l'aide de Nick. Mais le lecteur ne peut en être certain...

Mon attention sur ce livre a été attirée par son adaptation en série télévisée et par la publication de plusieurs dystopies pour cette rentrée littéraire. Après avoir lu "Notre vie dans les forêts" de Marie Darrieusecq, j'ai voulu lire ce roman qui est considéré comme un modèle de dystopie. Publié en 1985 aux États-Unis et en 1987 en France, il reste d'actualité. On comprend que ce texte soit devenu une référence pour les féministes et pour tous ceux qui craignent et luttent contre des évolutions politiques visant à prendre le contrôle des femmes, et de leurs fonctions reproductrices. On ne peut s'empêcher de penser à la montée du fondamentalisme aux Etats-Unis, et aux positions régressives face à l'avortement.
Qu'on pense que le livre est prophétique n'est pas étonnant. Puisse sa lecture nous tenir éveillés pour empêcher qu'il le soit

Conseillé par (Le Pain des Rêves)
25 septembre 2017

Un roman pour ados sur le thème de la culpabilité

Pétula de Wilde est une jeune fille de seize ans qui se sent responsable de la mort de sa petite sœur. Elle s'est étouffée avec un bouton du pyjama qu'elle lui avait cousu. Depuis, elle développe des phobies pour se protéger de tout ce qui pourrait être dangereux : elle porte des gants pour éviter une infection, ne va pas dans les toilettes publiques, ne traverse une rue qu'en empruntant un passage piéton, se tient éloignée des étagères de livres qui pourraient l'écraser, porte un sifflet anti-viol... Parce que "vous vivez dans l’idée fausse que tout ira comme vous voulez. Vous ne voyez le danger que quand il est trop tard. Les pessimistes sont plus réalistes. Ils prennent plus de précautions". Lesquelles exaspèrent son entourage et découragent toute tentative de camaraderie ou d'amitié.
Dans son établissement scolaire, pour l'aider à"faire son deuil", elle est contrainte de fréquenter l'atelier d'art-thérapie, animé par une psychologue stagiaire, couramment appelé 'le club des tarés". Il est vrai qu'elle y retrouve une fille alcoolique et toxico très extravertie, un garçon homosexuel rejeté par sa famille, un autre qui déprime d'avoir été interdit d'assister aux funérailles de sa mère... C'est là qu'elle rencontre un élève qui vient d'intégrer son lycée, "l'homme bionique" ainsi nommé parce qu'il porte une prothèse au bras droit. Jacob est beau, doux attentionné. Pétula n'en croit pas ses yeux. En plus, il sait se servir de sa caméra vidéo pour faire un exposé décalé qui plaît aux élèves de la classe, et aussi pour en faire d'autres dans l'atelier, afin d'aider ses camarades à évoluer. Tout le monde aime Jacob, mais il cache quelque chose d'énorme, un lourd secret qui pourrait mettre un terme à l'admiration dont il est l'objet et à l'amitié des membres de l'atelier.

Avec pudeur, Susin Nielsen traite de la culpabilité qui détruit la personne, qui empêche toute relation sincère avec d'autres. Elle montre que, si on peut être victime d'un accident ou d'un drame, vouloir se protéger de tout risque rend impossible une vie personnelle et sociale épanouies. Il faut affronter ses angoisses, les démonter pour les maîtriser. Elle met en avant la camaraderie comme force pour aller de l'avant. Roman "thérapeutique" et roman d'initiation puisque Pétula et Jacob y découvrent l'amour.
L'auteur réussit à parler de ces sujets avec humour, parfois même en tournant quelques situations en dérision (l'affection démesurée pour les chats de la mère de Pétula).
Les ados cabossés sont nombreux dans la littérature jeunesse -à tel point qu'on pourrait ne plus rajouter de romans en contenant- et Pétula est un trop beau catalogue de phobies, mais beaucoup de clins d'oeil littéraires, de petites touches d'humour ou de tendresses font de ce texte est un bon roman young adult.
Pour ados à partir de 14 ans

19,50
Conseillé par (Le Pain des Rêves)
22 septembre 2017

Jonas est un boxeur plutôt talentueux. "Plutôt" car il ne sera pas un champion. Il gâche son talent en fumant des clopes ou des joints de cannabis, en traînant avec ses copains. Il est très clair que Jonas et sa bande ne vivent pas dans le centre-ville, mais dans une banlieue, sa langue ne laisse aucun doute là-dessus.
Le personnage est curieux, Il ne semble pas très futé alors qu'il est dynamique, ouvert, sensible. Il est dans une bande de potes qui s'ennuient, boivent pas mal, se battent beaucoup, n'évoluent pas, trompent l'ennui dans de nombreuses parties de cartes. Il suit son père sans chercher à s'émanciper, à s'éloigner. Son langage est celui d'un jeune de cité. Pourtant, il entretient une relation avec une fille qui n'est pas de son milieu, qui vit dans une belle maison, qui fréquente des jeunes bien propres sur eux. Pourtant, il est très copain avec Lahuiss qui explique pourquoi le Candide de Voltaire affirme "qu'il faut cultiver son jardin". Pourtant, on sent qu'il a un autre niveau que son copain Ixe qui, dans la bande, tient le record de fautes d'orthographe dans une courte dictée que Lahuiss a extrait de Céline. Quand il s'entraîne à boxer, ou lors d'un combat, il dissèque ce qui se passe avec une précision chirurgicale. Et quand il s'échappe de la ville avec Sucré pour aller faire un feu dans la forêt, au sommet d'une colline, on le sent vibrer à la beauté sauvage de la nature.

David Lopez utilise le langage des jeunes de banlieue. Ça donne un texte fleuri : "Putain ! crie Poto, et il ajoute que sa mère la pute le jeu vas-y avec deux tours de plus j’te faisais un coup de malade", "Je lui dis et toi mon négro. Il dit qu’il faut qu’on s’capture pour parler du daron. J’lui dis ouais, comme d’hab, et on rigole", "Mais gros la tête que tu lui as mis". Quand Jonas décrit son entraînement, son combat contre Kerbachi, les scènes de sexe avec Wanda, son texte est rigoureusement construit et précis. Son Jonas sait qu'il pourrait faire quelque chose de bien de sa vie, mais il "refuse de faire ce pour quoi il est fait", "C’est l’espoir qui me rend servile". . Il
David Lopez aime le rap et la boxe. Il habite Nemours où il situe son roman. Ce qu'il raconte est vrai, et est faux puisque c'est un roman et non pas un essai sociologique

Il faut se laisser happer par ce roman, par le superbe langage que David Lopez crée, par le tragique de la vie de Jonas et de ses copains.

Conseillé par (Le Pain des Rêves)
20 septembre 2017

Glaçant et inquiétant

Viviane, la narratrice est dans une forêt. Elle a fui avec d'autres rebelles qui ont arraché leurs implants pour ne plus subir ce monde technologisé et la dictature numérique. Elle est psychologue et a eu a traiter l'unique survivante d'un avion abattu par un missile inconnu. Son cerveau a "magnanimement effacé" l'explosion de même que son arrivée sur le sol, mais pas la chute de 10.000 mètres dont elle se souvient parfaitement et qui lui a fait "changer son regard sur le monde".
Le monde, c'est "1 % de super-riches [qui] possèdent 99 % de la richesse du monde". C'est un monde où l'on est toujours connecté, et toujours surveillé. C'est un monde où elle, qui est de la classe moyenne "vit dans un genre de studio sans fenêtre". Une partie de la population possède un double, une "moitié". On est dans un époque où le transhumanisme est en oeuvre pour améliorer la santé, les performances et la durée de vie des humains, ou au moins des plus riches d'entre eux. La sienne s'appelle Marie, un clone dont elle imagine qui pourrait lui servir de réserve d'organes. Marie sommeille dans un centre. Pendant des années, Viviane lui a rendu visite. Dès qu'elle a fui dans la forêt, elle l'a libérée et a essayé de la réveiller, mais les moitiés sont assez peu éducables.
Ce qui sauve Marie -car elle se sait en danger- c'est d'avoir rencontrer le "cliqueur", un homme dont le métier est de programmer les robots en leur faisant associer des représentations mentales avec des mots, des idées, des émotions. Son cliqueur était fatigué et venait la voir dans le cadre de la médecine du travail. Pas pour parler, non..; pour se reposer, pour avoir du silence. C'est lui qui l'a alarmée sur l'état de sa santé et lui a indiqué de prendre la route de la forêt sasn quoi elle allait vers une mort certaine.
C'est dans l'urgence que Viviane écrit ce journal, un témoignage au cas où "quelqu’un trouve ce cahier dans la forêt, enterré dans le bidon, peut-être avec mes ossements, je voudrais être sûre qu’avant de le détruire, ou, je ne sais pas, de dire que j’ai tout inventé, ou de le tourner en dérision, bref, je voudrais être sûre qu’il soit lu jusqu’au bout. C’est tout." Elle n'est pas certaine de pouvoir se relire, "elle a froid". On peut avoir l'impression que son texte est le premier d'un enregistrement oral tant il est ponctué de "où j'en étais ?", de digressions. Des précisions comme "Le pape François était un pape du XXIe" indiquent qu'on est dans une époque éloignée, peut-être dans une ère posthumaniste où la valeur de la personne humaine est si peu de chose qu'il y a urgence à écrire ce journal. L'auteure écrit donc un texte haché, qui semble n'avoir aucun plan, aucune ligne directrice, aucune intrigue, créant un univers absurde, dépourvu de sens. Mais ne nous trompons pas, il témoigne d'une grande maîtrise littéraire.
Quelque chose étonne, comment Marie peut-elle avoir un corps intègre alors que Viviane a subi des opérations chirurgicales ? La fin de cette dystopie nous donnera la réponse, une réponse politique, un avertissement à nous qui savons que nous sommes dans l'ére de l'anthropocène. Dans sa solitude, Viviane continuera de tenir son stylo alors qu'elle a de plus en plus froid, que la vie la quitte.

Les Presses de la Cité

21,90
Conseillé par (Le Pain des Rêves)
20 septembre 2017

Anne et Marco ont passé la soirée chez leurs voisins, Cynthia et Graham, en laissant leur petite Cora chez, dans la maison voisine. Ils sont passés la voir chaque demie-heure. En rentrant, après minuit, la chambre est vide, Cora a été enlevée. Abattu, le couple est désespéré et envisage le pire.
Anne et Marco forment un couple banal, sans histoire. Marco est à la tête d'une société en croissance, qui n'est cependant pas en grande forme financière. Anne fait une petite dépression post-partum et n'a pas repris son travail dans une galerie d'art contemporain. Ses parents sont immensément riches. Son beau-père le fait savoir en surprotégeant sa fille et en méprisant son gendre à qui il a prêté de l'argent pour sa société. La voisine, Cynthia, belle femme, vaguement amie avec Anne, a dragué Marco au cours de cette soirée, à moins que ce ne soit l'inverse...
Ces quelques éléments de l'histoire sont un aperçu des points que va disséquer l'inspecteur Rasbach, ce qui provoque de nombreux rebondissements imprévisibles pour le lecteur, crée quelques fausses pistes, met à jour des secrets que les protagonistes cachaient soigneusement et croyaient indécelables.
Il y a, bien sûr, un coupable de cet enlèvement, mais plusieurs responsables de ce qui est arrivé. Shari Lapena maîtrise parfaitement ce lacis de rebondissements, de suspicions, de secrets, de manipulations sans laisser fléchir le suspense.
C'est angoissant à souhait. Du grand art !